jeudi 30 décembre 2010

La Chose, de Jmb acoustique


Non, il ne s’agit pas 
d’une production Marvel Comics !

L’enceinte dont Jmb acoustique annonce la sortie en cette fin d’année 2010 n’a rien à voir avec Benjamin Jacob Grimm, sympathique super-héro à la force herculéenne transformé en tas de brique à la suite d’une sortie dans l’espace qui a mal tourné. Mais on peut dire que ce produit d’exception (édition limitée à 50 paires pour le monde) présente tout de même, passez-moi l’expression, une sacrée gueule ! Il ne s’agit pas tout à fait d’un hasard : la jeune marque française Jmb acoustique fondée il y a environ trois ans par Bertrand Valère est à l’origine d’une petite poignée d’autres modèles à l’apparence et au volume souvent déroutants (la série des modèles Aventure).

La Chose, dite aussi Enceinte Revolution Air est d’une conception extrêmement originale. Qu’elle représente un objet de convoitise au design inédit - et plutôt très réussi à mon goût - est un fait, qui justifie une bonne partie de son prix. Mais voilà, au delà du look et de l’approche marketing sous-jacente, les performances musicales subjectives sont-elles au rendez-vous ?

Avant de répondre à la question, précisons que La Chose est bâtie sur un exo-squelette en altuglass étuvé et usiné avec soin qui ne fait pas moins de 5 cm d’épaisseur. Un gage d’originalité, mais aussi de rigidité mécanique et de transparence (au moins visuellement en tout cas). Un matériau pourtant pas si facile que ça à usiner et qu’il ne faut surtout pas maltraiter car il est cassant comme le marbre.

Sur cette structure repose un système à trois voies. L’aigu est confié à une petite chambre de compression Fostex FT17 H. Le medium à un haut parleur de 30 cm de diamètre et le grave à un double push-pull de haut-parleurs de 46 cm. Ces haut-parleurs sont d’origine allemande (Monacor), ils bénéficient d’un robuste saladier en fonte d’aluminium, d’aimants très puissants et font l’objet de modifications que Bertrand Valère réalise lui-même individuellement sur chaque unité. Inutile de chercher sur cette enceinte un quelconque volume de charge ! Ces haut-parleurs à haut rendement sont tous débafflés.

On retrouve ici pour la section grave, non filtrée, une variation du principe Isobarik développé par Linn Products sur de légendaires modèles, et qui avait été également repris par P.-E. Léon. Le but, linéariser la réponse dans le grave et annuler certaines formes de distorsion en juxtaposant deux haut-parleurs dont les membranes se déplacent «en tandem». Le filtrage extrêmement simplifié du médium et de l’aigu permet néanmoins un réglage fin et indépendant des deux registres, pour une meilleure optimisation du résultat dans le local d’écoute. L’enceinte est prévue pour le bi-câblage.

Finalement, il suffisait d’y penser ! La Chose est un concept, dont les maîtres-mots semblent être ingéniosité et simplicité, que ce soit au niveau des formes ou des éléments utilisés - qui ne sont d’ailleurs pas par eux-mêmes des composants de très haut de gamme.


Ecoute

Olivier Robert nous présente, chez lui, ce nouveau modèle, et précise de suite que ce système peut être complété par un caisson de grave pouvant embarquer un haut-parleur de 30 ou 38 cm, et dont les finitions sont personnalisables. Ce passionné, qui préside aux destinées de RoboliDesign, fait son cheval de bataille de la mise en oeuvre et de l’intégration visuelle de systèmes (audio et vidéo) haut de gamme conçus sur mesure, en marge des circuits de distribution plus traditionnels (auditoriums et magasins plus ou moins spécialisés).

S’agissant d’une référence atypique comme La Chose, et du fait de son caractère d’objet de collection, Bertrand Valère et Olivier Robert se sont tout naturellement mis d’accord : il s’agit d’adapter le produit (et par extension le système complet) de manière optimale aux conditions d’écoute qui règnent chez l’acquéreur. Achetez une des rares paires de La Chose, et vous aurez le plaisir de voir l’un des deux hommes revenir à votre domicile une fois le rodage d’une centaine d’heures effectué, pour une longue session d’optimisation du produit par rapport à son environnement.

Mais revenons à notre objet et à cette affaire de caisson… Cela signifie-t-il que ces enceintes sont incapables de fonctionner telles quelles, en dépit du diamètre important de ses boomers ? Heureusement, la réponse est non ! Le constructeur affirme d’ailleurs que La Chose passe le 16,5 Hz à – 4dB en milieu semi-réverbérant.

Pour nous en assurer, nous avons alternativement mené des écoutes de la paire seule, puis de la paire complétée par la section extrême grave d’une paire de Grande Aventure du même constructeur, ajustée de manière mesurée en niveau, afin de simuler l’appoint qui sera apporté par le caisson dédié (indisponible le jour de notre visite). Nous n’étions donc pas tout à fait dans les conditions réelles d’utilisation, mais pas loin… Qui plus est, le volume très important de la pièce d’écoute (ouverte sur deux niveaux), et le positionnement des enceintes devant une baie vitrée panoramique constituaient des contraintes réelles pour une paire de Choses. Certes, ces enceintes ne sont pas microscopiques, mais ses dimensions restent acceptables (à peine plus d’un mètre de hauteur pour une profondeur de 57 cm).

Dans ces conditions, écoutées seules, dans le cadre d’un système de haut niveau sur lequel nous reviendrons, les Choses se distinguent immédiatement par leur grande finesse de timbre et leur pouvoir d’aération assez exceptionnel. Un de mes disques piège, le fameux «Impending Bloom» de Nancy King et Glenn Moore - avec sa «double contrebasse» en re-recording sur les voies droite et gauche - passe avec un sens du swing manifeste, et beaucoup de rapidité. Même en l’absence d’aide dans l’extrême grave, la contrebasse n’est pas dénaturée. L’attaque des pizzicati est bien sèche et la voix de Nancy King module sans aucune entrave. Évidemment on gagne nettement en ampleur en activant les 46 cm des Grandes Aventures, mais sans pour autant alourdir ou ralentir le message.

Retour à la paire seule, avec d’autres extraits musicaux très divers. Du simple quatuor à cordes pour commencer, également très juste en timbre et très modulé, à la grande symphonie (Schostakovitch) avec masses orchestrales percussives et cuivrées particulièrement réalistes… Mais aussi Michel Portal live à Minneapolis, «Mezzanine» de Massive Attack, qui révèle à la fois la complexité, et, dans certains registres, la relative platitude d’un mixage pop pas spécialement destiné aux audiophiles armés de systèmes colossaux…

Bref, un système d’une grande transparence, sans biais tonal notable, à la fois rapide (dans les attaques) et posé (sur les fins de notes et d’accords). Révèlant beaucoup de détails, les forces mais aussi les faiblesses des prises de son, mais sans aucune espèce d’agressivité, ce qui est aussi à mettre sur le compte des électroniques utilisées (voir précisions ci-dessous).


Quelques précisions sur le système d’écoute

Le système très bien mis en œuvre comprenait, en lecteur CD, la suite MSB Signature Platinum DAC IV et Data CD IV. Une source au dessus de tout soupçon, suivie directement par les minuscules blocs d’amplification monophoniques GoldAmp récemment développés sous l’égide d’Olivier Robert. Un des buts suivis lors de la conception de ces électroniques : Faire en sorte que les GoldAmp puissent être «intégrés» aux enceintes, dans des formules d’amplifications passive ou active, où l’on réduit au maximum la longueur des câbles h.p. Contrepartie de cette discrétion : ces petits modules qui développent une centaine de Watts de puissance utile rejettent leur alimentation dans des coffrets dédiés qu’il faudra bien prévoir de positionner quelque part... Autre objectif suivi : proposer une capacité en courant inconditionnelle assurant en toute circonstance le prolongement et l’enchaînement harmonieux des notes et des accords.

Effectivement, la restitution se caractérise par une forme de majesté, de caractère posé et de grand naturel. Il reste qu’une paire de Goldamp avec alimentations coûte tout de même 32000 € ! Attention, car à ce prix là, si la concurrence n’est pas forcément pléthorique, elle est assurément de très haut niveau. Pour l’instant, les concepteurs restent assez discrets sur les technologies et schémas employés. Nous aimerions bien en savoir plus ! Cela étant, Bertrand Valère assure que sa Chose, dont le rendement est élevé et l’impédance peu torturée (à l’instar des autres modèles de la gamme), fonctionne déjà très bien avec un bon ampli intégré…


Conclusion

Il faut bien sûr, dans l’appréciation du prix de La Chose, tenir compte du fait qu’il s’agit d’un véritable objet «design et collector» dont forme et matériau ont aussi été choisis en fonction de critères esthétiques très spécifiques. Cela se paye. Mais la performance musicale proposée par cette enceinte est avérée, en combinant adroitement grande transparence et précieuse musicalité. Bien sûr, l’approche suivie par le duo Bertrand Valère - Olivier Robert s’adresse avant tout à un public très aisé, pour lequel décoration intérieure et intégration visuelle des produits est une préoccupation majeure. Ce public est souvent à la recherche d’un grand son de qualité dans une formule clé en main, sans pour autant s’intéresser plus que cela à la technique ou au performances pures. Grâce à la collaboration entre Jmb acoustique et RoboliDesign, l’objectif est atteint.


Spécifications constructeur « La Chose »

Bande passante : 20 Hz – 30 kHz à – 3dB
Impédance : 8 Ohms
Rendement : 96 dB/1 W/1 m
Dimensions : 1011 x 400 x 570 mm
Poids : 50 kg


vendredi 10 décembre 2010

Entente cordiale (au sein du quatuor à cordes)


Le Quatuor Diotima 
bientôt à l’Ircam



Les expérimentations musicales les plus audacieuses ont souvent lieu dans le cadre de l’Ircam, grâce à l’incroyable arsenal technologique qui y a été développé. C’est aussi un des lieux privilégiés d’élaboration des œuvres, des prototypes aux versions finales, où les compositeurs en formation ou en résidence trouvent le support humain et technologique adapté à leurs ambitions créatrices.

Philippe Manoury, enseignant à l’université de Californie de San Diego depuis 2004, n’a pas oublié son pays d’origine ni l’institution à laquelle il a tant contribué et grâce à laquelle il a composé un partie non négligeable de son œuvre. Il est donc régulièrement programmé aux concerts de l’Ircam, dont il fréquente toujours les laboratoires.

Son très attendu Tensio, pour quatuor à cordes et électronique, y sera donné en création mondiale par le Quatuor Diotima, le 17 décembre prochain. 

On pourra aussi y écouter respectivement les 6e et 3e quatuors de James Dillon et de Jonathan Harvey.

Adjoindre ou unir l’électronique et les instruments traditionnels conduit à relever plusieurs défis, comme Manoury le soulignait lui-même dans son essai intitulé «Considérations (toujours actuelles) sur l’état de la musique en temps réel» (2007). 

Pendant les années 80, Philippe Manoury mena «avec la collaboration du mathématicien Miller Puckette, une série de recherches dont le premier résultat allait être Jupiter, pour flûte et électronique. Cette œuvre, composée en 1987, était la première à utiliser un logiciel suiveur de partition et développait de nombreux principes d’interactivité entre la flûte et les sons de synthèse.».

Par la suite, le compositeur continua d’oeuvrer dans cette voie du «développement de structures musicales électroniques élaborées, dépassant le simple procédé de la transformation passive des instruments, et pouvant être soumises au temps flexible de l’interprète». Car l’une des grandes difficulté de l’exercice est bien la fusion du temps - subjectif - du geste musical de l’interprète humain et celui - très déterministe - de la machine. Manoury l’avouait alors bien volontiers : «Ainsi, ce que l’on a parfois appelé temps réel s’avérait souvent n’être que des séquences musicales pré-composées… que l’on pouvait, certes, démarrer au moment propice, mais dont le contrôle dans le temps nous échappait ».

Depuis lors, les techniques ont encore évolué, notamment dans le domaine des capteurs de mouvement de la gestuelle musicale, et ont permis à de nombreux compositeurs de développer, de raffiner le concept d’interactivité entre les instruments traditionnels et l’électronique. On pourrait citer comme exemple, pour rester dans le domaine du quatuor à cordes, la pièce StreicherKreis de Florence Baschet, dont nous avions rendu compte dans ces colonnes.

Un autre possible hiatus entre acoustique et électronique tient à la nature même du phénomène sonore. Identifiable et porteur d’une incontournable signature historique lorsqu’il s’agit de l’instrument traditionnel de l’orchestre, irréel et d’un grain forcément plus «artificiel» lorsqu’il s’agit de sons produits par un dispositif électronique.

Avec Tensio, Philippe Manoury risque donc de nous entraîner plus loin sur le terrain des interactions contrôlées entre les protagonistes du quatuor, en superposant texte réel et partition virtuelle. Ceci afin de réduire la «grande résistance à la réunion des musiques acoustiques et électroniques dans un temps musical commun». Cette frontière semblait encore trop souvent opaque à Philippe Manoury lorsqu’il écrivit son essai. Le concert du 17 nous permettra de constater si le compositeur est parvenu à la dissolution complète de cette limite.

Le concert sera précédé, à 19 h au Studio 5 de l’Ircam, de la projection du documentaire «Image d’une œuvre n°10» consacré au quatuor à cordes de Philippe Manoury.


Entente cordiale
Concert du 17 décembre 2010 - Ircam - Espace de Projection

Crédit photographique (P. Manoury) : Philippe Gontier