dimanche 3 août 2008

Une heure chez Pierre Henry


Pierre Henry tel qu’en lui-même



81 ans déjà, figure singulière et chenue, le regard parfois ailleurs mais toujours acéré, il nous reçoit de nouveau en sa demeure, comme il l’a fait à déjà trois reprises au cours de ces dernières années. Quatre éditions au total avec celle-ci, plusieurs douzaines de « séances », bien moins onéreuses qu’une psychanalyse – alors que l’immersion dans un tel contexte sonore et créatif peut assurément conduire très loin à l’intérieur de soi-même !
Séances où un public forcément rare est admis à investir la maison de Pierre Henry pour une heure environ. Séances qui commencent par la visite d’un lieu littéralement hors-norme, et se poursuivent par la projection d’œuvres concrètes in situ. Séances qui s’accompagnent de la possible déambulation dans ce merveilleux capharnaüm que tout inconscient normalement constitué rêve d’avoir en permanence pour cadre de vie. Le public est en effet invité à s’installer, qui à la cave, qui à la cuisine ou dans une chambre, et à changer de pièce à l’intermède s’il le désire.
Des conditions qui suscitent l’écoute rapprochée et attentive, forcément concentrée, d’un événement musical hors-norme.


Inlassable sculpteur sonore





En effet, comment mieux appréhender le travail d’inlassable sculpteur sonore de Pierre Henry, qu’en se rendant directement à son domicile ? Comment mieux se laisser pénétrer de ses plus intimes pensées, qu’en s’immergeant un (trop) court moment dans son propre univers, peuplé d’objets et de phonèmes hétéroclites ? Comment mieux abolir la distance et le voile posés par toute forme de mise en scène, qu’en acceptant cette invitation au-plus-près ? Tout en sachant le compositeur présent, juste dans la pièce à côté (dans laquelle, d’ailleurs, il ne se retranche ni ne s’expose).
Bien entendu, l’absence de mise en scène est aussi mise en scène. Et comme aiment également à le souligner les physiciens, quoi que l’on fasse pour éliminer les obstacles et les filtres, l’acte de la mesure (ici, l’écoute) influe singulièrement sur l’objet et la quantité à mesurer. Oui mais, là, nous sommes au contact le plus direct qui soit avec la matière acousmatique créée par Pierre Henry, nichés bien au cœur de ce petit accélérateur de quanta sonores. L’instant est pure musique, pure création, car posé à la source même du jaillissement sonore.
Mais il est aussi éloigné que faire se peut d’une quelconque forme de « work in progress » - formule devenue ces derniers temps assez convenue, pour ne pas dire galvaudée. Car ce qu’a diffusé Pierre Henry « chez lui » au cours de ces dernières années, ce sont des œuvres nouvelles mais finies (et que l’on a d’ailleurs retrouvé éditées in extenso au disque aussitôt projetées).


Une redécouverte de l’Œuvre

Ainsi l’a voulu l’auteur, ainsi se déroulaient, du 4 au 15 août 2008, un nouveau millésime d’ Une heure chez Pierre Henry : premières parties constituées de pièces anciennes et moins anciennes – et en seconde partie, la projection de « Miroir du Temps », composé pour la circonstance. Cela dure donc une soixantaine de minutes, pendant lesquelles le Maître (et quand même démiurge) officie, mais sans cérémonial particulier, assis derrière sa table de mixage, tout au contrôle de son travail, qu’il qualifie lui-même d’artisanat. Il y est secondé par Bernadette Mangin, son assistante musicale de toujours, et projette ses œuvres à travers un réseau dépareillé de haut-parleurs, disséminés dans toutes les pièces de ce petit édifice du XII ème arrondissement de Paris.
Cinquante œuvres au total, et l’auteur qui déclare : « J’ai tenté dans ce miroir temporel de retracer les jalons de toute mon œuvre depuis soixante ans ». L’occasion de (re)découvrir ce travail est donc exceptionnelle, car quasiment toutes les compositions majeures de Pierre Henry y seront données, au moins sous forme de séquences, mais dans un programme qui change de séance en séance …


Face au miroir, que voit-on ?

«Miroirs du temps», seule création de ce cycle de séances, contient à l’évidence l’essence même de l’œuvre de Pierre Henry. A commencer par cette lente introduction aux accents surannés de piano préparé, organisés en une belle et progressive consonance … Nous y retrouvons ensuite, plongés dans un futurisme brut parcouru à rebours - en une sorte de régression salutaire vers une poésie bruitiste un peu datée mais toujours hypnotisante - une forme très construite qui compose la bande-son du ballet presque familier des particules élémentaires de cette étrange physique. Ballet qui prit naissance il y a une bonne soixantaine d’années.

Une visite s’impose.



Discographie sélective

Voici ce qu’écrivait Anne Rey il y a quelques années : « Pierre Henry n’est pas un compositeur de musique contemporaine, au sens quelque peu restrictif du terme. Il n’a jamais trouvé sa place dans les avant-gardes officielles, n’a jamais suscité d’exégèses savantes, et s’il a des disciples, ce n’est pas de son fait ». Effectivement, il a des disciples, il n’en a presque jamais tant eu ! Et il a produit une œuvre finalement séminale, consciemment ou non. Tout d’abord à l’aide de simples microphones, de magnétophones à bande (voir la collection de Telefunken de son studio) et probablement de plusieurs paires de ciseaux. Cet amateur d’anachronismes travaille depuis quelques années à partir de sons reportés sur DAT (Digital Audio Tape), format issu du monde professionnel mais aujourd’hui «dépassé», sans l’aide de l’outil informatique. La manipulation concrète des sons sur bande lui reste en effet indispensable. Le traitement et la visualisation des signaux sur station informatique, tout à fait superflue.

Intérieur/Extérieur (1996)

Composé pour la première édition du cycle « … chez lui » dans le cadre du Festival d’Automne à Paris. Un disque dense, qui réclame tout de même une disponibilité d’esprit particulière. Mais alors ! Une œuvre où les riffs de guitare du groupe américain Violent Femmes (entre autres éléments) se dissolvent dans un bouillonnant bain d’huiles sonores essentielles parfois hérissé d’objets contondants.

Dracula (2003)

Bande son imaginaire d’un film qui n’existe pas mais que tout le monde a pourtant vu. Pierre Henry explore le thème fantastique en s’appuyant sur la Tétralogie de Wagner. Une illustration particulière de ce que peut-être la Musique Concrète telle que définie à ses début par Pierre Schaeffer, c'est-à-dire une sorte de méta-processus faisant feu de tout bois, et s’autorisant aussi l’utilisation de séquences et d’œuvres musicales préexistantes. Composé pour la deuxième édition du cycle.

Voyage initiatique (2005)

Titre ambitieux, mais bien dans l’esprit de l’œuvre du compositeur, qui comporte tout de même des pièces intitulées Le Livre des Morts Égyptien, Apocalypse de Jean, ou encore Dieu. Ce Voyage initiatique, plus de quarante ans après le premier Voyage (1962), est aussi une merveilleuse manière, sereine et envoûtante, d’aborder ces territoires sonores. Le troisième volet du cycle.


Et aussi, la réédition chez Philips de l'oeuvre complète :












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