dimanche 27 septembre 2009

Illaps en concert

Naissance d’un bolide

Première apparition publique d’Illaps, samedi 19 septembre, dans le cadre de l’initiative Jazz à Domicile (*)

Mais que signifie donc Illaps ?

ILLAPS, s. m. (Théolog.) : sorte d'extase contemplative où l'on tombe par des degrés insensibles, où les sens extérieurs s'aliènent, et où les organes intérieurs s'échauffent, s'agitent, et mettent dans un état fort tendre et fort doux, peu différent de celui qui succède à la possession d'une femme bien aimée et bien estimée.

Une formidable machine vient donc de se mettre en mouvement ! On pourrait dire : une sorte d’équivalent musical à une folle construction de Tinguely.

Ce bolide, conduit par de jeunes virtuoses, carbure à l’extrait de syncope et de rupture rythmiques (François Merville, batterie), négocie des accélérations vrombissantes et des freinages bien dérapés (Kentaro Suzuki, contrebasse), émet de drôles de bruissements cuivrés (Vincent Lê Quang, saxophone et Sébastien Llado, trombone), qui répondent aux cris et chuchotements du bandonéon (Tristan Macé, le fondateur).

Si la notion de power quintet a un sens, elle est magistralement illustrée par cette nouvelle formation qui invente, n’ayons pas peur des mots, un jazz border-line quasi épileptique !

Ce drôle d’équipage aborde sans complexe des territoires sonores où d'autres ne mettront jamais les pieds - de peur de la chute ou de l’enlisement - et négocie à toute vapeur des virages serrés où la sortie de route est le danger de tous les instants. C'est dire si le jazz d'Illaps est acrobatique, si la prise de risque est grande, mais donne fort heureusement lieu à des morceaux complexes et construits, où tout se tient. Pourtant, malgré leur apparente décontraction, les musiciens sont sur le fil du rasoir. Il n’est certes pas facile de faire respirer un morceau tel que «I've got fine stuff in my snuff box (variations sur un standard bien d'chez nous)» que le groupe envoie sans autre forme de procès pour entamer le set.

Acrobatie, oui. Mais non, nous ne sommes pas au cirque, même si aucun des musiciens présents ne semble manquer d'humour. Et tiens, on mélange allègrement chant tibétain et bandonéon dans l’introduction de «Même la douceur de nos sorbets est une promesse de sensuelle immobilité».

Le groupe poursuit avec «Ravel». Voila selon Tristan Macé le prototype d’un genre musical trop peu développé : le boléro jamaïcain. C’est un des longs morceaux distillés par le groupe, dans une sorte de première pression (à chaud bien sûr) où l'expérimentation le dispute à l'art du break, tout en évitant avec grâce le piège de l’interminable logorrhée free-jazz. Qui finit toujours par taper un peu sur le système... Cela dit, en parlant de taper‚ il tape ce batteur ! Fort mais bien...

On dira aussi que le jazz d'Illaps est également visuel‚ car ces messieurs n'hésitent pas de temps à autre à torturer un peu leurs chers instruments, ou comme Sébastien Llado, à jouer de l’ocarina sur un téléphone mobile, et à démonter le trombone en plein morceau pour en tirer des plaintes encore plus vives !

Modes de jeux hors norme, recherche de la sonorité qui gratte, du bruit qui fait mouche. Un morceau d'Illaps, c'est souvent (pour autant que l’on puisse en juger au travers de ce court set) une belle juxtaposition de faux (vrais) départs et de singuliers retournements de situation, de saisissantes envolées tout autant lyriques que soudaines. C'est ce qui donne toute sa richesse à ce jazz impro-écrit (au vu du nombre de partitions accompagnant les instrumentistes).

Une référence évidemment piazzolienne émaille la fin de ce set haut en couleurs : «L'hypertango», en clin d'oeil malicieux au fameux «Libertango» du maître argentin. Il s'agit d'un morceau tout différent de l’original, mâtiné de fanfare folle à la Vienna Art Orchestra (juste pour donner une idée).

On va donc tous courir le 10 décembre prochain au Triton (Les Lilas) retrouver le groupe pour son premier concert en salle ! Car une soirée entière avec Illaps promet d’être un moment à la fois réjouissant et hors du commun.


Questions libres à Tristan Macé

SSB : Vous êtes le leader ?

Tristan Macé - «Oui !»

SSB : Vos compères le vivent-ils bien ?

TM – «Ils le vivent bien car ils ne cessent de discuter mes idées et d'y rajouter les leurs. Tout cela fonctionne à merveille.»

SSB : Pourquoi jouez-vous, du jazz ?

TM – «Pour ce qui est des raisons qui me poussent à jouer, il faudrait en parler à mon psy ! Le jazz, c’est mon rayon.. J'ai commencé par le piano que je pratique toujours puis suis venu au bandonéon, en pensant bien qu'il avait lui aussi sa place dans le jazz. Dans ce domaine, pour cet instrument, le champ est ouvert…»

SSB : Comment vous êtes vous rencontrés ?


TM – «Je suis le dénominateur commun de ce quintet. Initialement, j’avais été invité à donner des cours dans la classe de François Merville au conservatoire de Bagnolet... nous avons joué avec l'Ensemble Départemental de Jazz du 93. Nous ne voulions pas en rester là… Puis mon ami Sébastien nous a rejoint, j'avais très envie de jouer avec lui. Kentaro, je l’ai vu jouer en concert et je lui ai demandé de jouer avec nous..»

SSB : Le 10 décembre, comment serez vous habillé ?

TM - (Rires) «Probablement avec la même chemise, lavée, mais avec un autre pantalon. Regardez, avec le frottement du bandonéon j’ai usé celui-ci !»


(*) Le principe de "Jazz A Domicile" est transparent : faire jouer de véritables concerts par des musiciens professionnels, mais dans l'espace privé d'un particulier, à sa demande. Des musiciens aussi divers qu' Emmanuel Bex, Alexandre Authelain ou Victoria Rummler participent ou ont participé à l'opération. Tous les adhérents, qu'ils soient connus ou non, se prêtent avec enthousiasme à ces invitations, qui permettent de mieux faire connaître l'Union des Musiciens de Jazz (dont Tristan Macé est le président) et cette musique aux couleurs infiniment variées qu'est le jazz. La proximité avec le public, le caractère festif qu'un tel événement, forcément exceptionnel pour le particulier qui l'organise, contribuent à créer une atmosphère propre à l'expérience et à la prise de risque... Le jazz devient alors cette fée du logis qui aurait échangé sa baguette contre celles du batteur, et remplacé le robot-mixeur par le mélange des genres.


Crédits photographiques : Eric Robillard


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