samedi 6 février 2010

La Semaine du Son – janvier 2010 (3)


Pourquoi jouer et écouter
toujours plus fort ?

Conférence-atelier du samedi 16 janvier – Auditorium Saint-Germain - Paris

Cette dernière journée de La Semaine du Son à Paris était consacrée à la problématique des niveaux sonores, sous la forme d’une série d’intervention de professionnels et de chercheurs, entrecoupée d’exemples musicaux donnés par des formations accueillies sur scène : le quatuor Quatre Quart, le célèbre Hadouk Trio et le duo de musique électronique et participative Puce Muse.

Introduction

Pour mieux illustrer encore le sujet du jour, Christian Hugonnet, organisateur de La Semaine du Son, avait installé, au centre de la salle de l’Auditorium Saint Germain, un système de captation et d’analyse en temps réel du niveau sonore ambiant.

Christian Hugonnet et Jean-Louis Vicart,
directeur de la Maison des pratiques artistiques amateurs/
Auditorium Saint-Germain

Quelques premiers essais interactifs avec le public permettaient de visualiser le niveau de bruit de fond de la salle silencieuse (35 dB en pondération A, un très bon chiffre), puis lorsque l’animateur s’exprimait sans micro depuis la scène (chuchotement à 40 dB, voix à peine timbrée à 50 dB, voix posée à 60 dB, voix colérique à 80 dB, hurlement aux alentours de 90 dB). La salle entière, elle-même remplie à moitié environ, s’avérait capable de générer sensiblement plus de 100 dB lors d’une simulation de public en délire ! Rappelons qu’un écart de 10 dB correspond pour l’oreille humaine à un doublement de l’intensité sonore perçue (alors que l’énergie mise en œuvre est dix fois supérieure).

Une manière intelligente de poser le débat du niveau sonore et d’évaluer le travail à fournir par les ingénieurs du son lors d’une sonorisation de spectacle. Et surtout de constater que dans cette salle d’une jauge de 350 personnes, un auditeur même éloigné de la salle percevait sans amplification un niveau correspondant au murmure, et pouvait profiter d’une dynamique potentielle proche d’une soixantaine de décibels (si l’on évite le dépassement du seuil d’une centaine de décibels).

Ce qui amenait une première interrogation : dans des salles de ce type, pourquoi sonoriser les formations musicales à grand renforts de watts, comme on l’observe si souvent aujourd’hui, notamment lorsqu’elles ne sont constituées que d’instruments acoustiques aux puissances d’émission naturellement équilibrées ?

Une interrogation relayée dans son introduction par Pierre Walder, acousticien et ex-directeur du développement à la Radio-Télévision Suisse Romande (ici à gauche de Christian Hugonnet), qui revenait à juste titre sur les prouesses réalisées par les architectes des théâtres antiques, à une époque où évidemment, la sonorisation n’existait pas !

Dans sa présentation intitulée tout simplement La dynamique sonore, Michèle Castellengo, directrice de recherche émérite au CNRS, offrait quelques repères conceptuels à la question de la perception des niveaux sonores et de leur dynamique.

Elle tendait à montrer que la perception des niveaux sonores par l’être humain n’a finalement qu’un lointain rapport avec leur stricte mesure en décibels. Et donc que le respect de certaines limites de volume n’est pas le garant absolu d’un pacte de non agression sonore ! Il faut en effet tenir compte de plusieurs paramètres physiques et psycho-acoustiques, dont :

- les conditions de propagation du son entre la source et le destinataire (champ libre, semi-réverbérant, réverbérant), qui atténuent ou intensifient le niveau émis,
- les capacités de l’audition humaine à s’adapter au niveau sonore, par le raidissement plus ou moins marqué des muscles tenseurs des osselets de l’oreille moyenne - marteau enclume et étrier – en présence de sons forts, ce qui réalise une adaptation de sensibilité que l'on évalue à environ 30 dB,
- la sensibilité différentielle de l’oreille en fonction de la fréquence (courbe de Fletcher), illustrée par l’écoute de son purs de même niveau à 100 Hz, 500 Hz et 3000 Hz (différence de volume perçu très spectaculaire),
- l’influence de la présence ou non d’harmoniques dans un son (à même énergie émise, un son riche en harmoniques paraît plus fort qu'un son qui en est dénué).

Dans l’expression musicale, il est d’usage de coder la dynamique en 7 (voire exceptionnellement 8) niveaux distincts (qui ne sont évidemment que des repères) : de ppp voire pppp (niveau pianississimo, très faible, situé aux alentours de 40 dB, voire moins) à fff (fortississimo, niveau excessivement élevé), en passant par pp (pianissimo), p (piano), mp (mezzo piano), mf (mezzo forte), f (forte), et ff (fortissimo). Chaque écart entre niveaux correspond à un doublement du niveau perçu, soit à une augmentation de 10 dB. Le grand orchestre présente donc, sur le papier de la partition, une dynamique potentielle de 60 à 70 dB, et un niveau maximal de l’ordre de 100 dB.

Le quatuor Quatre Quarts s'installe, avant de démontrer les nuances dont il est capable. Au second plan, la visualisation en temps réel du niveau sonore capté dans la salle.

A rapprocher de la dynamique intrinsèque de chaque instrument de l’orchestre, qui est selon les cas comprise entre 15 et 30 dB, tout en sachant que leur niveaux respectifs de pianississimo sont très variables, et est de plus fonction de la hauteur des notes jouées.

Par ailleurs, il y a en général enrichissement du contenu harmonique des notes avec l’augmentation du volume sonore produit et ce à cause, ou plutôt grâce, aux non-linéarités qui apparaissent en son sein. C’est ainsi que la trompette s’enrichit d’une quarantaine d’harmoniques entre les niveaux piano et le mezzo-forte. Cet effet va donc dans le sens d’une augmentation encore plus rapide de son volume apparent.

Certains paramètres de l’exécution instrumentale ont également une influence sur volume sonore et contenu spectral. Dans le cas des instruments à cordes par exemple, la position du point d’attaque de l’archet sur les cordes (entre la touche et le chevalet) détermine un certain rapport entre harmoniques paires et impaires, que le musicien peut donc faire varier sensiblement. Par ailleurs, une sorte de loi naturelle tend à pousser l’instrumentiste à jouer plus vite, avec des vibratos plus marqués et des attaques plus nettes dès lors qu’il joue plus fort.

Enfin, il était question de la finesse de discrimination à court terme de l’oreille humaine. Celle-ci peut être estimée à +/- 0,5 dB pour le niveau, et à 1/4 voire 1/8e de ton pour la fréquence. Cette sensibilité, qui n’est elle-même pas constante, s’affine autour du niveau absolu de 100 dB et dans la zone de sensibilité maximum de l’oreille (de 200 à 4000 Hz environ).

Après cela, comment donner des recommandations pertinentes en termes de niveau de pression acoustique maximal admissible ? On voit que la tâche est ardue !

Au passage, quelques informations intéressantes nous étaient données sur le rendement acoustique des instruments. Des constatations qui apporteront peut être de l'eau au moulin des amateurs d’enceintes à haut rendement dans le débat qui les oppose aux tenants du bas ou moyen rendement. Ce «rendement instrumental» - c'est-à-dire le rapport entre l’énergie acoustique produite et la dépense consentie par l’instrumentiste - est assez faible dans l’absolu, mais est tout de même très correct lorsque l'on le compare aux valeurs typiques de la transduction électro-acoustique. Car il est compris entre 5 et 10 % pour la majorité des instruments (rendement équivalent de 99,5 à 102,5 dB/1 m/1 W), et peut atteindre 40 à 50 % (108,5 à 109 dB/1 m/1 W) pour des instruments à percussion.

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Crédits photo : Clément Arcamone / 7ème Semaine du Son-2010 et Christian Izorce