mercredi 9 décembre 2009

Glossopoeia




Création musicale et chorégraphique - les 16, 17 et 18 décembre - Centre Pompidou, Grande Salle















Des corps accourent, se saisissent, roulent à terre et rebondissent. Développent des mouvements amples, physiques, très articulés. Les corps se tordent, et tentent de s'insinuer dans d’invisibles interstices. Prennent des positions d’équilibre précaires comme pour aller à la rencontre de leurs propres limites.


Assistons-nous à l’invention d’un nouveau langage corporel ?


Les trois danseuses semblent fouiller l'espace dans ses ultimes recoins, expérimenter à même le sol des modes de reptation inédits.
Et c’est comme un climat musical de création du monde qui résonne dans la grande salle de répétition du 104 - ce lieu vaste et récent qui sert désormais de laboratoire et de théâtre à de nombreux événements culturels.
Nous sommes en répétition de Glossopoeia, un spectacle qui sera donné les 16, 17, et 18 décembre prochains au Centre Pompidou. Une création d’environ 60 mn pour trois danseuses, quatre musiciens, vidéo et électronique.


Pour ce spectacle, le compositeur Alberto Posadas et le chorégraphe Richard Siegal ont cherché à ce que danse et musique soient dans une relation forte et intime.











Le prolixe Richard Siegal cite volontiers Goethe : «L’architecture est de la musique pétrifiée» et tente lui-même de prolonger cet énoncé… Que se passe-t-il si l’architecture elle-même est mouvante, à l’instar des formes dynamiques et éphémères que construisent des danseurs sur un plateau ?



Cette idée trouve ici une forme d’aboutissement dans la mise en œuvre d’une captation des gestes des danseurs, qui influera sur les traitements sonores réalisés en temps réel. Et a également amené le compositeur Alberto Posadas à «remodeler» une partition qui, dans ses grandes lignes, préexistait à la création chorégraphique en elle-même. Mais sur scène, le déplacement des musiciens et d’un gigantesque rideau occultant constituera aussi une illustration de cette notion de géométrie mobile.


Frank Madlener (*), qui animait cette visite, précise : «Ce qui est mis en œuvre pour Glossopoeia avec la technique Ircam temps-réel ne prétend pas être inédit. L’interaction geste/musique est un procédé qui a déjà été développé maintes fois… Mais à la différence de beaucoup de chorégraphies contemporaines qui s’appuient sur un matériau musical «figé», choisi a à l’avance par le chorégraphe dans un répertoire d’œuvres existantes, musique et chorégraphie sont ici développées et ajustées en même temps… et l’influence des signaux issu de la captation des gestes sera réintégrée par le compositeur dans le cadre d’une seconde version, remaniée, de l’œuvre initialement conçue».


Il y aura donc deux parties d’égale importance dans ce spectacle, avec deux lectures différentes de la pièce de Posadas. 1er acte, le quatuor : musique pure. 2e exécution : place au traitement du son, à l'interactivité qui détermine des choix dans le traitement sonore, et conduit d’ores et déjà le compositeur à la réécriture de certains passages.


Pour Siegal, qui s’appuie aussi beaucoup sur des références classiques, cette répétition fait aussi écho à l’écriture musicale de forme baroque.






En fait, il faut comprendre que le titre ambitieux de l’œuvre (Glossopoeia signifie, en Grec, création d’un langage) s’applique davantage à la manière dont le compositeur, les experts en informatique musicale et en captation des mouvements, le chorégraphe et ses danseuses –laissées relativement libres dans leur propositions gestuelles– bâtissent progressivement cette œuvre. Plutôt qu’à sa forme finale, qu’à son vocabulaire gestuel et à sa construction, même si celle-ci s’avère parfaitement lisible et définie dans l’esprit des protagonistes (à la marge d’aléatoire contrôlé près que chacun s’autorise) …


Richard Siegal observe que dans l’expression contemporaine, le sens d’une œuvre est souvent attendu du public lui-même. Comme si au final le créateur se désolidarisait de ce qu’il montre… Cette attitude vue et revue tend désormais à l’agacer. Non, Glossopoeia ne fera pas appel au concept éculé de «work in progress», pas plus qu’il ne questionnera de manière nombriliste le rôle de l’artiste dans la société contemporaine !


En revanche, à un mois de la création, alors que le spectacle n’est pas encore entièrement monté, qu’il reste beaucoup de choses à mettre au point, Siegal s’inspire de sa propre interrogation sur les modalités d’émergence du langage chez l’homme, de la conceptualisation du monde dans l’esprit du très jeune enfant (il est lui-même jeune père).


Que va-t-il survenir ici ? La création de Glossopoeia va-t-elle donner lieu à une nouvelle grammaire musicale et chorégraphique que d’autres créateurs s’approprieront ultérieurement ? Nul ne sait, et personne ici ne le pronostique ni ne le revendique ! Nos artistes semblent avoir une idée assez claire d’où ils veulent aller. Mais ils restent humbles et surtout formidablement concentrés sur leur travail.


Un travail dont nous recueillerons les fruits dans une dizaine de jours…


Glossopoeia sera repris le 31 mars 2010 au Concertgebouw de Bruges, et les 29 et 30 avril à Madrid.




A noter : à l’occasion de la parution récente chez Kairos du CD monographique consacré aux quatuors d’Alberto Posadas, le compositeur sera reçu par Jean-Pierre Derrien sur France Musique dans Le matin des musiciens, le vendredi 11 décembre à 9h07.






(*) Frank Madlener est le directeur de l’Ircam.