dimanche 28 juin 2009

Concerts Agora 2009


Le premier concert de la série donnait à découvrir la formation belge Aka Moon (F. Cassol – saxophone, M. Hatzigeorgiou – guitare basse, S. Galland – batterie), ici augmentée d’un quatrième larron, le logiciel OMax piloté par G. Nouno de l’Ircam.
Le jeu
ne trio de jazz relevait brillamment le défi de la confrontation « ive avec la machine. Conçu par Gérard Assayag et son équipe, OMax «analyse en temps réel le jeu d’un musicien, du point de vue de ses articulations mélodiques et sonores, et en construit un modèle, libre de jouer à son tour ses propres variations».
Il ne s’agit donc pas ici d’un simple traitement du son en temps réel, mais pratiquement de convoquer un partenaire virtuel supplémentaire, susceptible de développer un «jeu» qui complète ou étend celui de l’instrumentiste pilote, en faisant appel à une palette d’effets et de transformations sonores, tout en respectant l’esprit de l’improvisation en cours.
Gilbert Nouno, placé au commandes d’OMa
x le soir du concert, explique dans la note de programme : «OMax transforme la pensée musicale avec le double contrôle du musicien acoustique et du musicien électronique : tous deux guident la re-synthèse des idées injectées dans le contexte musical original. Dans cette nouvelle mise en situation se crée une boucle d’interférences qui modifie le jeu en amont et en aval du logiciel».
Pour la première partie du concert, qui utilisait OMax, on sentait le trio - et particulièrement son soliste Fabrizio Cassiol – comme
potentiellement mis en danger par la présence de la machine. Au début de chaque morceau le saxophoniste, aux aguets, semblait tester son partenaire d’un nouveau type. Mais il se laissait vite aller dans les très beaux développements mélodiques dont il est coutumier, conforté par la rythmique puissante construite par Michel Hatzigeorgiou et Stéphane Galland. Une rythmique économe en gestes, mais certes pas en énergie ni en complexité !
La seconde partie, pur fruit du seul trio, permettait par comparaison de juger du bien fondé de l’accompagnement par OMax, qui sans conteste ajoutait lors de la première partie une dimension musicale supplémentaire, parfaitement intégrée au reste de la formation. Heureusement, la virtuosité de ce véritable power-trio d’expressive-jazz permettait dans ce second temps d’écarter toute impression d’aplatissement systématique de la performance.



Mais Agora 2009 faisait évidemment la part belle à Luciano Berio, dont plusieurs concerts programmaient des œuvres : Passagio, Formazioni, la Sequenza III pour soprano solo et Coro, interprétées par l’ensemble Interconte
mporain, l’Orchestre de Paris, Johanne Saunier, et le Brussels Philharmonic – Orchestra of Flanders. Une programmation qui faisait notamment la part belle à l'utilisation de la voix, souvent traitée de manière explosive et jubilatoire par le compositeur italien.
(A noter : les amateurs retrouveront Berio lors des concerts des 29 et 30 septembre prochain à la Cité de la Musique, donnés respectivement en collaboration avec l’Ircam et en coproduction avec l’Ensemble InterContemporain, où sont programmés les oeuvres A-Ronne et la géniale Laborintus II, composées en collaboration avec le poète Edouardo Sanguinetti)


Les interactions entre art et science étaient de nouveau sondées dans l’opéra de chambre HyperMusic Prologue, du jeune compositeur catalan Hèctor Parra.

Un propos fort ambitieux, puisqu’il s’agissait de mettre en scène et en musique une des réflexions les plus pointues de la physique moderne, celle qui concerne les multiples dimensions de l’univers. Des dimensions surnuméraires – les branes - sont en effet conjecturées par de nombreux scientifiques, pour qui le modèle spatio-temporel einsteinien à quatre dimensions n’est plus suffisant pour rendre compte de toutes les interactions fondamentales.

Mais comment rendre cela en musique ? Parra a choisi l’opéra, dans le cadre d’une collaboration pluridisciplinaire : le livret est écrit par la physicienne américaine Lisa Randall, la mise en scène est de Paul Desveaux, le décor conçu par le designer britannique Matthew Ritchie. Il en résulte une scénographie et une unité d’action très dépouillées, eu égard aux développements musicaux assez complexes reposant notamment sur un dispositif de spatialisation sonore.
L’un des ressorts structurels de l’œuvre consiste en l’échange des concepts physiques et musicaux (la taille est représentée par la durée, le temps par la densité rythmique, la masse par la richesse des spectres, l’énergie par la vitesse d’évolution du discours).
Il faudrait sans doute une deuxième écoute pour apprécier pleinement la manière dont Parra figure la déambulation du personnage de la femme dans une cinquième dimension qui soudain s’ouvre à elle. En effet, l’écriture de cette pièce se complexifie rapidement à mesure que le personnage féminin s’éloigne de son compagnon, resté «prisonnier» des contingences physiques traditionnelles. Peut-être aurait-il fallu également mettre en œuvre un processus de diffusion sonore plus sophistiqué, car la spatialisation réalisée lors du concert n’était pas suffisamment explicite pour faire ressortir la perspective ouverte par cette dimension supplémentaire.

Petite insuffisance sur le plan du livret, en lui-même plus discursif que poétique…



Un très beau moment du festival, le Concert Orgue du 16 juin en l’église Saint Eustache.

La compositrice coréenne Hyun-Hwa Cho et le vidéaste Raphaël Thibault y côtoyaient notamment Ligeti et Xenakis. Ce jeune duo proposait, avec Vox humana une œuvre d’une grande beauté formelle, centrée sur l’être humain, et qui en faisait ressortir - à travers ces images de corps en apesanteur, se cherchant l’un l’autre dans la nef sans limite d’une cathédrale impossible – toute la force et la fragilité. Le film de Raphaël Thibault, d’une réalisation parfaite tant sur la plan des idées visuelles que d’un point de vue plus technique (qualité d’image, mélange réussi d’images réelles et virtuelles) faisait un parfait écho à la création toute atmosphérique de Hyun-Hwa Cho, qui superposait à l’orgue un plan sonore de synthèse spatialisé sur plusieurs haut-parleurs.

On y découvrait aussi des pièces de Toshio Hosokawa, sorte de transposition occidentale de certains traits de la musique gagaku, et de Phillipp Maintz, qui s’appropriait le caractère initialement liturgique de l’orgue pour s’en échapper progressivement, dans un propos métaphysique suggéré par l’écrivain Georges Bataille.
Enfin, on appréciait une dernière fois l’exploit physique de l’organiste prodige Franscesco Filidei dans le spectaculaire Gmeeoorh de Iannis Xenakis, qui pousse l’interprète dans ses derniers retranchements, et le force à l’affrontement direct et total avec l’instrument lors de monumentaux clusters.
Dans le cadre majestueux de l’église Saint Eustache, les résonnances suscitées par ces différentes œuvres se déployaient avec un spectre incroyablement étendu, de l’infra-grave aux plus hautes harmoniques aigües déployées par cet orgue qui ne compte pas moins de cinq plans manuels de 61 notes plus une pédale de 32 notes.


Le dernier concert du festival, sous le titre l’Air d’autres planètes, regroupait deux créations-commandes de l’Ircam et une œuvre de Schoenberg, interprétées par la soprano Barbara Hannigan et le Quatuor Arditti.

Erinnerung, pour quatuor à cordes et dispositif électronique, de Denis Cohen, débutait le concert. Basé sur le premier agrégat de Farben, troisième pièce pour orchestre de Schoenberg, la pièce de Cohen travaille sur la notion de réminiscence et de distorsion du souvenir. Après un premier mouvement tout en lentes pulsations ponctuées de pizzicati solistes presque évocateurs du clavecin, on enchaîne sur un deuxième mouvement tendu, scandé en traits d’archets beaucoup plus nerveux. Le troisième mouvement renoue avec la pulsation et avec le souvenir recomposé, le travail rugueux de l’électronique contrastant avec le naturel tissé et boisé des cordes. Erinnerung se conclut par un quatrième mouvement presque dramatique. Une très belle pièce, posée et réfléchie, qui jouait beaucoup sur la couleur et la matière sonore. Les Arditti faisait preuve ici de beaucoup de sensibilité, à travers une interprétation à la fois précise‚ d'une grande lisibilité et d'une très haute musicalité.

Le deuxième Quatuor de Schoenberg venait justement en deuxième pièce. Magnifique œuvre «à la tonalité suspendue de façon consciente» (R. Leibowitz), qui appuie ses deux derniers mouvements sur des poèmes de Stefan George. La voix de femme fait son apparition dans le troisième mouvement (illustrant le poème Litanei) et se poursuit dans le quatrième mouvement, intitulé Entrückung (Transport), qui annonce : «Je sens un air venu d’autres planètes». Un véritable moment de grâce parcourait l’auditoire, captivé par une interprétation habitée, toute en humanité, combinant la chaude épaisseur des cordes à la sombre tessiture de la voix de la soprano Barbara Hanningan.

Pour terminer, une nouvelle création de Philippe Schoeller, Operspective Hölderlin, pour soprano, quatuor et dispositif électronique spatialisé, faisait appel, - pour la toute première fois au concert - au dispositif de spatialisation WFS, déployé transversalement au dessus de la scène.

Operspective Hölderlin clôt le cycle que le compositeur a entamé avec Feuillages (1992) et Vertigo Apocalypsis, Oratorio (1997) et où il explore les modes d’intrication entre musiciens vivants et dispositif électronique, sous l’angle du rapport entre surface et profondeur. Ici, c’est la distance, comme il le souligne lui-même, qui est au cœur de la thématique de l’œuvre : « …distance comme moteur de la perspective entre la voix et l’instrument. Distance de substance. Entre les cordes : vocales et quatuor. Distance de la mise en scène : jardin quatuor, cour soprano. Enfin, distance profondeur : la WFS. Fenêtre ouverte sur un horizon acoustique où se projette toute l’invention d’une imagination musicale trans-orchestrale…».
Cette oeuvre à l’effectif très réduit mais démultiplié par le traitement sonore spatial jetait sur la grande salle du centre Pompidou les lueurs vacillantes et doucement flamboyantes d’un beau crépuscule. Un climat de sérénité presque éthérique gagnait le public pendant la trentaine de minutes que dure cette œuvre, surprenante par sa lente pulsation et son caractère planant - et par moments, quasi-statique. Le dispositif WFS ouvrait effectivement une nouvelle perspective, un contrepoint spatial d’une profondeur presque illimitée à une formation dont les protagonistes (quatuor, soprano) sont eux bien ponctuels. Une œuvre qui suscitait aussi des points de vue très variés de la part du public, de quelques musiciens et compositeurs rencontrés à la sortie de la salle. Ce qui est finalement plutôt sain !