lundi 31 janvier 2011

L’histoire du soldat - Igor Stravinsky


t m + et l’Arcal réveillent un
soldat pas si connu…


Il apparaît courant sur un fil tendu à la verticale… et continue son chemin de fragile funambule sur une horizontale à peine plus praticable, tandis qu’un petit groupe de musiciens l’accompagne en arpentant le plateau... Probablement «entre Denges et Denezy», c’est à dire là où se situe le «drame», en pays vaudois, terre d’accueil de Stravinsky à l’époque de la composition. C’est donc L’Histoire du soldat, écrite de concert par Charles-Ferdinand Ramuz, le librettiste, l’ami et le collaborateur, et par Igor Stravinsky. Un soldat qui par imprudence va vendre son âme au diable, non pas comme chez Faust en l’échange de l'éternelle jeunesse, mais contre une simple promesse de richesse illimitée.

Comme le souligne Harry Halbreich dans les notes de pochette du disque Boulez conducts Stravinsky paru en 2001 chez Deutsche Grammophon - qui comprend la version de concert de cette pièce de théâtre musical - «L’Histoire du soldat a influencé la musique de l’entre-deux guerres plus profondément sans doute que toute autre oeuvre de Stravinsky». Mais en ce début de nouveau millénaire, Stravinsky reste finalement beaucoup plus connu pour ses compositions d’avant 1918. C’est en effet dans cette première période que l’on trouve notamment les incontournables et souvent révolutionnaires musiques pour ballet : L’Oiseau de feu, Petrouchka et Le Sacre du printemps.

L’histoire du soldat, composée en 1918, inaugure en quelque sorte une nouvelle période créatrice pour Stravinsky, et se distingue par une forme scénique très originale, à la fois opéra, théâtre et ballet, conditionnée par les difficultés que rencontre Stravinsky à cette époque. Il a alors l’idée d’inventer une forme de théâtre musical ambulant ne nécessitant que peu de moyens, et ne rassemblant donc que peu de musiciens et de comédiens. La partition est quant à elle à la fois simple et efficace : elle mélange avec habilité et humour des thèmes de folklore tzigane, de marche militaire, de tango, et intègre les tout premiers éléments de jazz entendus dans la musique européenne. Elle connaît immédiatement un succès important, mais cette «invention» n’effectuera malheureusement pas le parcours auquel ses créateurs la destinaient.

Si certains critiques voient dans cet opus une oeuvre déterminante dans laquelle Stravinsky est davantage complice du diable que du malheureux soldat trompé, n’oublions pas que la période pendant laquelle Stravinsky compose L’Histoire… est particulièrement difficile pour lui, tant sur le plan affectif (décès de proches) que matériel (la récente révolution russe le prive de ses droits d’auteur). Difficile donc de ne pas voir dans le personnage de ce soldat un reflet de la personnalité et des préoccupations de Stravinsky, alors que nous sommes quasiment au sortir de la terrible première guerre mondiale.

Le revoici donc, ce soldat un peu oublié du public, dans une belle, sobre et audacieuse production. Les solistes de t m +, son chef Laurent Cuniot en tête (incarnant aussi le rôle du diable), les comédiens Serge Tranvouez (le narrateur), Mathieu Genet (le soldat), la danseuse Raphaëlle Delaunay (la princesse), tous mis en scène par Jean-Christophe Saïs dans un décor et une mise en lumière due à Jean Tartaroli, donnent une version moderne et captivante de cette oeuvre assez peu jouée.



Mais cette fois, il s’agit bien d’un spectacle ambulant, tout d’abord donné à l’Opéra de Reims, puis à la Maison de la Musique de Nanterre (en janvier), et qui poursuivra son chemin à la Faïencerie de Creil (le 16 mars), à l’Onde de Vélizy (les 29 et 31 mars) et au Nouveau Relax de Chaumont (le 31 mai).



° ° °

A propos de Stravinsky, signalons également la spectaculaire exposition re-rite mise au point par le Philharmonia Orchestra de Londres. Il s’agit d’une installation immersive et interactive basée sur un film du Philharmonia Orchestra interprétant Le sacre du printemps placé sous la direction d’Esa-Pekka Salonen. 



Cette captation intégrale de l’oeuvre a été filmée à l’aide de 29 caméras distinctes et enregistrée avec des micros disséminés dans chaque section de l’orchestre. L’exposition, qui nécessite un espace de grande ampleur découpé en autant de zones de projection, met le visiteur en contact visuel et auditif avec chacune de ces sections et lui permet également de consulter les lignes de la partition qui les concerne, au sein d’un parcours quasi-labyrinthique.

On peut également s’essayer (fictivement) à la direction d’orchestre et, d’une manière plus réaliste, au pupitre des percussions, sous les instructions préenregistrées d’un musicien de l’orchestre.

Cette exposition a été déployée à Londres et à Leicester en 2009 et 2010. Elle vient d’être présentée début 2011 au Musée de la Mode de Lisbonne. Espérons qu’elle continuera à voyager et si possible en France. Car, comme le résume le chef finlandais : «Etre à l’intérieur d’un orchestre, ressentir la présence des 101 musiciens reprenant cette oeuvre mythique, provoque une des plus fortes montées d’adrenaline qui soit, et c’est une sensation que je voudrais partager avec le monde entier. C’est exactement ce que nous faisons ici.»


Lien à consulter : www.philharmonia.co.uk/re-rite/

Crédits photographiques copyrights Philharmonia Orchestra


L’Ensemble Orchestral Contemporain à Nanterre


L’EOC ressuscite les seventies !

L’Ensemble Orchestral Contemporain, sérieuse formation stéphanoise spécialisée dans la musique de notre temps, a décidément plus d’une corde à son arc ! Non contente d’interpréter, sur le territoire national et aussi dans le cadre de tournées à l’étranger, les oeuvres les plus marquantes du répertoire contemporain, elle ose aborder, avec un égal bonheur et une originalité très affirmée, certains hymnes du rock progressif des années 70 ou issus de l’actualité pop la plus fraîche.


C’est ainsi que nous retrouvions l’EOC à la Maison de la Musique de Nanterre ce dimanche 30 janvier après-midi, pour un concert exceptionnel associant des opus aussi variés que les «Six bagatelles pour instruments à vent» de György Ligeti, une relecture de «Close to the edge» du groupe Yes, de «Baba O’Riley» des Who ou encore de «I got a feeling» des Black Eyed Peas.

Voila en effet quelques années que René Bosc, l’un des deux chefs permanents de l’EOC, s’est lancé dans l’arrangement pour orchestre d’un certain nombre de «tubes» de l’époque bénie de la pop et du rock. Lui et sa formation rendent hommage à des artistes et des groupes qui ont eux-mêmes affirmé leur intérêt pour le répertoire classique et les expérimentations sonores réalisées par les grandes figures de la musique contemporaine dans les décennies de l’après-guerre. 

La boucle est ainsi bouclée, pour le plus grand bonheur des amateurs de Yes, Genesis et King Crimson, groupes séminaux et représentatifs d’une époque où la pop n’était pas encore tout à fait une industrie. 

Et qu’il s’agisse de revisiter le monumental «21st century schizoid man» de KC - avec percussionnistes sur bols et verres Duralex disséminés dans le public, voir ci-contre -, la «Black Page» de Franck Zappa et le «Tarkus» d’Emmerson Lake & Palmer - avec véritables samples de Moog et autres sonorités joliment datées -, ou encore d’explorer les structures répétitives de «Baba O’Riley», l’EOC et son chef sont totalement à l’aise.

Cette fois, à Nanterre, la formation - très engagée aussi dans de nombreux projets pédagogiques - a embauché de tout jeunes élèves des collèges alentour afin qu’ils constituent un choeur et chantent les deux derniers titres du concert : «Baba O’Riley» et «I got a feeling». Inutile de préciser que les parents présents ce dimanche sont ressortis à la fois avec l’oeil humide et avec un sentiment de fierté absolument pas déplacé… Il y a en effet bien plus mauvaise initiation musicale que celle consistant à reprendre, en 2011, avec le bon accent et sans fausse note, des refrains Daltreysiens !


Un spectacle à la fois surprenant et réjouissant, soutenu visuellement par la projection de vidéos spécifiquement élaborées par Jérôme Bosc, le propre fils de René, et qui achèvent de donner à cet événement un savoureux goût de happening.


EOC
Conservatoire Massenet
32 rue des Francs-Maçons
42100 Saint-Etienne


www.eoc.fr 

° ° °


A la sortie du concert, il était également question de happening et de vieux Moog dans le hall de la Maison de la Musique, où Thierry Balasse et la Compagnie Inouie inauguraient leur exposition protéiforme intitulée Voyage au coeur des sons à travers une performance uniquement retransmise au casque. Cela fleurait bon Pink Floyd et Soft Machine…

Cette exposition didactique se poursuit jusqu’au 13 mars.





Maison de la Musique,
8, rue des Anciennes-Mairies
92000 NANTERRE












dimanche 30 janvier 2011

China Moses à la Nuit du Jazz de Levallois



Samedi 29 janvier, 
Conservatoire Maurice Ravel de Levallois (92)


En ce dernier samedi soir de janvier (toujours glacial), le conservatoire de Levallois programmait sa Nuit du Jazz, sous forme d’un concert en deux parties. A 20 h se produisait l’orchestre d’Yvan Jullien. A 22 h 30, c’était au tour du quintet de China Moses et Raphaël Lemmonier d’entrer en piste.

En dépit d’un effectif jeune, compétent et nombreux (21 musiciens sur scène), le big band d’Yvan Julien peine un peu à motiver la salle. Dommage, car tous les moyens sont là. Mais les interprétations des morceaux choisis par le chef restent un peu convenues voire monolithiques, alors que ce répertoire aurait permis de multiplier les breaks, les ruptures de rythme et de laisser de singuliers riffs émaner de la section cuivre particulièrement fournie de cet ensemble.

On pointera aussi la rythmique trop ostensiblement «funk» de cette machine, qui finit par donner un côté easy listening/jazz FM à presque tous les morceaux égrainés pendant cette première partie. Pour couronner le tout, notons un parti pris de sonorisation qui ne rendait que peu justice aux timbres du piano, à la voix de la sympathique et souriante chanteuse Annick Tangorra, ou aux solistes de la formation qui se succédaient au micro...

° ° °



Après une pause d’une heure environ, soit vers 22h40, le batteur Jean-Pierre Drouard, le contrebassiste Fabien Marcoz et le pianiste Raphaël Lemmonier font leur apparition sur scène. Ils sont  rapidement rejoints par China Moses, pour un hommage appuyé à l’une de leur principales égéries musicales : Dinah Washington. 

Cette fois, c’est un gros son de qualité, plutôt bien timbré, qui s’échappe du système de sonorisation de la très belle salle du Conservatoire Ravel. On notera néanmoins le niveau un peu élevé de la contrebasse, qui sur certaines notes excite les résonances de la salle. Mais dès les premières mesures, le sens du groove du trio (pas encore rejoint par le saxophone) est manifeste… Et ne se démentira d’ailleurs sur aucun morceau.

La sculpturale China, bien en verve, tient à nous conter quelques anecdotes marquantes de la vie de Dinah l’étoile filante, célèbre dès l’âge de 18 ans au sein du big band de Lionel Hampton et précocement disparue à 39 ans. Une personnalité haute en couleur, grande amatrice d’hommes, ce que souligne notre chanteuse franco-américaine en reprenant les titres «Mad about the boy», «Evil gal blues» et «Fat daddy»… Dans ces reprises, China trouve sa propre voix mais emprunte tout de même certaines intonations à la Queen of the blues originale.


Les quatre musiciens se lancent ensuite dans une longue et hypnotique reprise soul de «Cry me a river», arrangée spécialement pour China par Raphaël Lemmonier, et introduite par un long duo batterie/contrebasse au swing irrépressible. 

C’est sur ce morceau qu’apparaît enfin le saxophoniste Daniel Huck, avec un son très appuyé et un sens de l’humour manifeste. 

Puis c’est «Lover come back to me», suivi de «Dinah’s blues», composition originale de China et Raphaël, et «Call me irresponsible» que la fantasque Dinah revendiquait avec lucidité.

Le quintet offre un florilège de titres figurant sur le disque This one’s for Dinah, enregistré en studio mais dans des conditions proches d’un enregistrement public (pas de re-recording ni de montage a posteriori).


L’enthousiasme du public est total. Il s’agit d’un set chaleureux, placé sous le signe de la générosité et de l’humour, susceptible de réconcilier les esprits les plus réticents avec le jazz vocal. Nous sommes loin de l’ambiance empesée de certains concerts où le jazz présente encore les apparences d’une musique élitiste. 

Avec au micro une China Moses complètement désinhibée, magnifiquement entourée par quatre musiciens monstrueusement doués et dévoués à la cause, ce beau moment de musique s’achève sur un unique rappel, «I just wanna make love with you», cette fois dédié à Etta James. Probablement une des prochaines figures qui seront célébrées par cette formation dans leur album à paraître, attendu vers avril prochain...


mercredi 12 janvier 2011

La Semaine du Son - Edition 2011







Une manifestation en pleine croissance !

Incontournable ! La 8e Semaine du Son,  du 18 au 22 janvier à Paris et à Genève, et du 23 au 30 en régions, à Bruxelles et à Montréal, est désormais l’événement marquant du début d’année pour les professionnels et passionnés du son. Elle sera placée cette année sous le parrainage de Pierre Boulez, et se promet d’adresser d’innombrables thèmes techniques, médicaux, sociétaux et artistiques.

Il faut insister sur la qualité des conférences, tables rondes et animations habituellement proposées par les organisateurs de cette manifestation, vaillamment entraînés par Véronique Balizet, sa déléguée générale, et Christian Hugonnet, son président. Venir aux journées ou aux ateliers de La Semaine du Son, c’est accepter de faire une pause, dans le calme, pour se documenter sur les nouvelles techniques, assister à des spectacles dont le son est une composante majeure, se sensibiliser aux risques de l’écoute à haut niveau sonore ou de la pratique musicale (malheureusement, il y en a !).

Impossible de détailler ici le programme complet de cette manifestation dont l’influence va croissant. Mais les sujets abordés couvrent un large spectre. Citons, pour Paris, la journée inaugurale du 18 janvier, intitulée «Audition et cerveau» (au Palais de la Découverte) et qui consacrera une large part à la question de la santé auditive (avec opération de dépistage des défaillances auditives des participants, que l'on espère rarissimes), la journée du 20 consacrée au « Design sonore des véhicules» (au Palais de Tokyo), celle du 21 à la «Spatialisation sonore» (à l’Ircam) et celle du 22, qui tentera de répondre à l’interrogation «Quel son pour une image 3D ?» (à l’Espace Pierre Cardin).

En marge de ces journées, signalons également, le 19 à 19 h, la projection image et son en relief (avec la technique dite du «Format B») du documentaire «Je vous écris du Havre», de Françoise Poulain-Jacob et Jean-Marc L’Hôtel (au 6B à Saint-Denis) et le 22 après-midi, l’atelier d’enregistrement amateur et de maîtrise de la reproduction domestique organisée par l’AFDERS (à la Médiathèque Musicale de Paris).

Très riche programme également en province et dans les autres capitales, avec des concerts gratuits, des ateliers de création de musique électro-acoustique, des sessions de sensibilisation à la problématique des niveaux sonores, etc… la plupart du temps en entrée libre.

La Semaine du Son est véritablement «l’événement qui dit tout du son» !