Mercredi 12 novembre, 10 h 00, Ircam, Salle de Projection

Première difficulté : dans l’immense salle vide, le quatuor acoustique sonne presque «léger», en tout cas sensiblement détimbré par rapport à une performance en public. Les Danel travaillent d’abord quelques sections difficiles de l’œuvre, qui sont explorées à fond : l'analyse est pratiquement menée note par note pour certaines mesures. Le suiveur de geste est en action. De temps en temps, il faut revoir la fixation d'un capteur au poignet des interprètes car leurs gestes sont amples et rapides – et le seront sans doute davantage le soir du concert.
Enchaînement sur un passage incroyablement tendu et chahuté, puis retour au bruissement de silence – les notes s’étirent en longues et fines tensions dramatiques. Les frottements passés à la loupe de l’amplification font surgir des spectres analysés et exposés dans leur grain le plus fin.
On poursuit : long filage sur un passage où les cordes sont tout juste frottées, et où leurs bruissements sont magnifiés par le dispositif électroacoustique. Depuis le milieu de la salle, Florence Baschet commande d'un pupitre le mixage des effets, leur dosage quantitatif par rapport à l’exécution en cours. Elle occupera d’ailleurs ce même poste lors du concert. L’ingénieur du son est fréquemment invité à quitter sa console pour se mettre à la place de la compositrice.


Nous parlons maintenant de tempo. La question cruciale de la battue est abordée. Ici, le quatuor Danel fait valoir sa vision particulière de la synchronisation : plutôt que d'annoter la partition au préalable, les musiciens préfèrent tout d'abord se caler entre eux à l'oreille, et ne définir une gestuelle de battue que lors des toutes dernières répétitions. Dans cette pièce complexe, ce rôle de direction sera d'ailleurs dévolu à tour de rôle à chaque exécutant. On intégrera donc la battue au prochain filage.
Mais l'ingénieur du son signale un accrochage larsen lors des passages pp et ppp ! Dans une section où la granularité des pianissimi est exacerbée par le dispositif électroacoustique, le niveau émis par les haut-parleurs est repris par les micros de prise. Faut-il jouer moins fort ? On décide que non, Florence tenant au contraire à ce que les musiciens se laissent aller. A la technique de garder le contrôle sur la diffusion !
Nouveau filage, en acoustique, de la section E… Cette fois, le quatuor est bien en place ! On rajoute maintenant le dispositif électro : des réverbérations apparaissent, ainsi que l’extension du corps du violoncelle. Mais une nouvelle pause s’avère nécessaire : quelques minutes sont accordées aux musiciens pour qu’ils définissent entre eux les battues de la section G.
F G H sont ensuite enchaînés, avec la battue et la mise en œuvre des capteurs. Attention ! Des accidents sont redoutés en mesure 155, et à la négociation de la difficile transition entre 214 et 215. Ici, les frottements des cordes aigues et graves déclenchent des harmonisations micro-tonales. Un drone grave, seul «instrument virtuel» de la partition, vient assombrir ce passage par ailleurs très acide, tout en notes filées. En mesure 208, le traitement déclenche une grappe de réverbérations caverneuses et futuristes à la fois. Tout cela est très complexe, surtout lorsque l’on songe que ces effets sont la résultante de la gestuelle des instrumentistes, et non la simple superposition de séquences préenregistrées.

Mesure 252 : le dispositif électro prend toute son ampleur en marquant la démultiplication des gestes des musiciens. Mais après le travail de calage, cette mesure respire !

Ah, et pour les mesures d'introduction, Florence recommande au quatuor une vision plus géométrique des choses : le découpage des verticales et des horizontales doit être mathématique comme un théorème ! Au moins au début de l'œuvre, qu’elle ne souhaite surtout pas «romantiser».
Il est 13 heures. Ce sera tout pour StreicherKreis, au moins jusqu’à la générale qui a lieu demain. Mais après le déjeuner, il faut encore répéter les pièces de Rivas et de Bédrossian…
Nous retrouverons les deux autres volumes du cycle avec le quatuor Diotima, le jeudi 5 février, avec des œuvres de Hugues Dufourt et Brian Ferneyhough, et avec le quatuor Arditti, le vendredi 19 juin, dans un programme réunissant Philippe Schoeller, Arnold Schönberg et Denis Cohen.
Crédits photographiques : Christian Izorce
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