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samedi 12 juin 2010

Festival Agora 2010 - 3

Vendredi 11 juin, grande salle, Cité de la musique

Spectral, vous avez dit spectral ?

Agora propose ce week-end trois concerts consacrés à «l’école spectrale», dont Tristan Murail est l’un des plus évidents représentants. 
Mais de quoi s’agit-il exactement ?

Crédit photo : Tristan Murail © Elisabeth Schneider

Si l’on veut, toute musique est, par essence même, spectrale. De même qu’une fusée ne peut jamais quitter sa trajectoire (*), le signal produit par n'importe quel instrument ou phénomène physique est indissociable de son empreinte spectrale, représentative de la manière fréquentielle d'appréhender le phénomène. Autrement dit, on peut toujours réaliser une décomposition du signal sonore sous la forme de l’addition d’un ensemble dénombrable (spectre discret des sons périodiques) ou indénombrable (spectre continu des sons apériodiques) de composantes fréquentielles élémentaires.

Ainsi, de toute éternité et jusqu’à la fin des temps, les bruits, chants, mélodies et autres créations sonores de l’homme ont été, sont et seront spectraux. Mais, en fonction des courants, des styles, des barrières conceptuelles que certains individus plus hardis que d’autres ont contribué à abolir, les compositeurs ont appris à focaliser leur intention musicale, leur idée créatrice, sur des paramètres toujours différents de la modulation sonore. Et l’on est ainsi passé, plutôt progressivement dans l'ensemble mais parfois avec quelques heurts, du chant monodique à la polyphonie, du tempo unique et invariable à la polyrythmie et à l’art du contretemps, du respect absolu de la tonalité à l’art de la dissonance.

Après avoir essayé des formes d’écriture qui tentaient déjà de s’éloigner de la pure tradition, les compositeurs de la seconde école de Vienne (Schoenberg, Berg et Webern) portent un intérêt spécifique pour l’agencement et l’évolution des timbres instrumentaux au sein d’une même pièce. Nous sommes au début du 20e siècle. Ils développent le concept de klangfarbenmelodie (ou mélodie de couleurs de timbres), où le paramètre majeur du discours musical devient le timbre instrumental et ses variations, et non plus tant la mélodie définie par les hauteurs de notes et les accords qui se succèdent.

Dans les années 70, d’autres compositeurs, qui refusaient que l'on restât bloqué dans les impasses d'un sérialisme (autre invention de Schoenberg) devenu dogmatique, reviennent à cette notion de timbre, de spectre, s’intéressent à la nature physique du son. Les développements technologiques de l’époque, qui préfigurent l’actuelle informatique musicale, rendent possible une première approche analytique de la granularité du son, la synthèse et les traitements complexes du signal.

Influencés par l’italien Giacinto Scelsi, autre figure majeure de la musique contemporaine, les compositeurs français Tristan Murail, Gérard Grisey, Michaël Levinas et Hugues Dufourt lancent véritablement le courant spectral en France et font quelques émules à l’étranger. Certains d'entre eux se retrouvent à l’Ircam au début des années 80. Ils profitent alors des premières générations de dispositifs sophistiqués d’analyse et de synthèse, et travaillent la matière sonore même, les micro-intervalles, les partiels (**), la musicalité du bruit. Ils réfléchissent à l’application de processus (règles prédéfinies de variation des formes) dans la composition musicale, considèrent l'axe du temps non plus comme métronomique, mais comme dimension irréversible de l'évolution des systèmes.

Chez Murail, ces stages au laboratoire se traduiront notamment par des œuvres telles que «Désintégrations» (1983), «Serendib» (1992), «L’Esprit des dunes» (1994), ou plus récemment encore par «Les sept Paroles», oeuvre remise en chantier à l’Ircam en 2010 par le compositeur.

Hier soir, nous pouvions entendre en introduction du concert deux étranges pièces de Scelsi, dont l’étonnante «Yamaon», composée en 1958 mais redécouverte et créée en 1988, et qui semble contenir en germe une bonne partie du free jazz sur le point d'éclore pour de bon dans les années 60. 

Puis Murail, avec son envoûtant appel de «L’Esprit des dunes» et son presque debussyste «Serendib». Une mention particulière pour l’hypnotique «Verziechnete Spur» de Mathias Pinstcher, où s’illustrait le contrebassiste Frédéric Stochl, pièce aux riches sonorités et aux effets amples mais subtils de désagrégation spatialisée du son.

Mais l’exploration de ces grandes masses sonores en évolution lente, de ces trajectoires de morphing et d'effets de synthèse croisée se poursuit ce soir avec les créations des «sept Paroles» de Murail et de «Speakings», pour orchestre parlant de Jonathan Harvey. Et s’achèvera dimanche avec Morton Feldman, Marco Momi et d'autres œuvres récentes de Tristan Murail.

(*) Trajectoire : ensemble des points parcourus par un mobile en mouvement. Une fusée peut éventuellement quitter une trajectoire initialement calculée, mais en aucun cas sa trajectoire.

(**) Partiels : composantes fréquentielles (souvent de nature transitoire) apparaissant dans le spectre d'un signal non harmonique (bruits, percussions, attaque ou extinction d'un son).

dimanche 28 mars 2010

Agora 2010 - le festival de l'Ircam



La nuit du prototype

Après l’annonce de la nouvelle saison artistique de la Cité de la musique placée sous le signe des utopies, l’Ircam annonce sa désormais rituelle manifestation Agora, qui du 7 au 19 juin prochains explorera le concept de prototype. Plus que jamais, l’argument est bien pour l’Ircam d’organiser une manifestation fédératrice, susceptible d’attirer un public large, autour de moments d’exception propices à la création. Mais aussi d’œuvrer à la dissémination des œuvres créées en son sein.

Pour Frank Madlener, le temps d’un festival doit être un moment d’ouverture sur vers l’avenir, et garder tout à la fois une valeur de chronique du temps présent. Le thème du prototype permet d’illustrer le passage déterminant de l’imaginaire et des esquisses préalables au modèle opérationnel qui démontre sa viabilité. On nous propose ainsi d’assister au glissement progressif du désir créateur, qui mène du modèle théorique aux premières ébauches de laboratoire, et enfin à l’exhibition du prototype dans la société (nous éviterons la tournure «lancement sur le marché» !), susceptible d’être ensuite assimilé par un nombre croissant de créateurs.

La notion de reprise est d’ailleurs mise en avant dans Agora 2010. Car, si susciter la création d’œuvres nouvelles embarquant des technologies inédites est un objectif motivant en soi, il n’y a pas de plus grande satisfaction, pour les auteurs et pour leurs commanditaires, que de voir ces œuvres programmées par la suite dans d’autres salles et manifestations que celles qui ont servi de contexte à leur baptême.

Agora 2010 déploiera un programme riche en temps forts et en partenariats qui devraient contribuer à démocratiser davantage l’image un peu secrète, voire élitiste, de cet institut de recherche très actif au sein de programmes de scientifiques européens et internationaux.

S’y côtoieront des figures habituées de l’Ircam (les compositeurs Jonathan Harvey, Tristan Murail, Michael Jarrell) et des artistes invités qui n’avaient jusqu’à présent jamais investi les lieux ni utilisé les techniques élaborées à l’institut. Tel le compositeur Gérard Pesson, qui n’en revient toujours pas de faire partie de cette programmation, et dont on créera la dernière œuvre «Cantate égale pays». © photo C. Daguet / Editions Henry Lemoine

Le plasticien Sarkis offrira sa relecture du «Roaratorio» de John Cage, créé à l’Ircam en 1981.

En fin de festival, Odile Duboc chorégraphiera les «Partitas» de Bach et le «Dialogue de l’ombre double» de Pierre Boulez. Mais Agora 2010 se déploiera également hors les murs : à la Cité des Sciences et de l’Industrie, au Théâtre de l’Athénée, et pour la journée de clôture qui se déroulera en partie place Igor Stravinsky. © photo Julien Attard

Sous le vocable de Méridien Science Art Société, c’est un peu le paradigme de la création scientifique et de sa difficile médiatisation qui est illustré. L’Ircam et la Cité des sciences et de l’industrie programmeront ensemble deux installations : «Grainstick» et «Mortuos Plango, Vivos Voco». Cette dernière installation vidéo repose sur l’œuvre «historique» de Jonathan Harvey, conçue à l’Ircam en 1980, et qui résonne aujourd’hui comme un hymne symbolique des développements Ircam de l’époque.

Le mardi 8 juin, soirée exceptionnelle à la Géode, qui verra la projection de deux films-documentaires : «Mutations of matter», sur une musique du compositeur chilien Roque Rivas, et «Helicopter String Quartet» de Karlheinz Stockhausen, qui retrace l’odyssée de cette invraisemblable pièce pour quatuor à cordes et véritable rotor d’hélicoptère. © photo H. Vielz/ Archive Stockhausen for music


Trois concerts seront par ailleurs consacrés à l’œuvre de Tristan Murail, figure désormais séminale dans la musique d’aujourd’hui, pour pas moins de six œuvres, dont la création nationale des «Sept paroles».

«Le père», sorte de théâtre musical et technologique de Michael Jarrell, bâti sur la pièce éponyme de Heiner Müller, rassemblera en fin de festival les percussions de Strasbourg complétées d’un ensemble vocal. Ce spectacle mis en scène par André Wilms sera donné au Théâtre de l’Athénée, et fera appel au dispositif WFS de spatialisation sonore que l’Ircam exploite depuis quelques années. © photo C. Daguet / Editions Henry Lemoine

Et en clôture donc, le samedi 19 juin, la Nuit du prototype – sorte de fête de la musique avant l’heure – investira la place Stravinsky dès 16 h avec les Percussions de Strasbourg interprétant les «Pléiades» de Xenakis. Ce long après midi intérieur/extérieur à l’Ircam sera ponctué de démonstrations scientifiques sur le thème voix, geste et interaction temps réel, de projections et de concerts où figureront encore Stockhausen, Georges Aperghis, ainsi qu’une nouvelle œuvre pour électronique très attendue de Philippe Manoury.

L'Ircam et la fontaine Stravinsky, arrêtée en hiver,
mais qui de nouveau jaillit au retour du printemps !

Comme nous le soulignons par ailleurs, ce printemps 2010 est riche en événements musicaux où la technique représente une composante majeure, et qui tentent de s’ouvrir à un public non spécialiste. Programme à consulter en ligne.



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