lundi 7 juin 2010

Entretien avec Stéphane Even - Neodio



A l’occasion du salon Focal, Leedh et Neodio organisé les 4 et 5 juin dernier, Signal sur bruit a rencontré Stéphane Even, fondateur de Neodio, qui nous a livré avec franchise et décontraction quelques uns de ses petits secrets, de ses influences, et de ses doutes. Il cite ses sources, donne des conseils, replace ses produits dans le contexte de la concurrence…

Signal sur bruit : Stéphane, pouvez-vous nous retracer votre parcours dans l’électronique ?

Stéphane Even : Je suis diplômé de ENSEIRB, (école d’ingénieurs en électronique, informatique et radio-communications de Bordeaux, ndlr). Je suis un ancien du groupe Schneider où j’ai travaillé de longues années sur des capteurs de tous types (inductifs, photo-électriques), souvent durcis pour qu’ils soient moins sensibles aux parasites. Ensuite, j'ai été responsable de l’anticipation dans le cadre de projets de rupture technologique...

Je suis donc un véritable électronicien analogicien et je me suis passionné très tôt pour le monde des petit signaux, qu’il faut souvent amplifier et traiter dans des environnements CEM critiques, car riches en perturbateurs de toute sorte. J’avais également une passion pour la haute-fidélité depuis mon adolescence... 

SSB : Et les débuts de Neodio ?

SE : Tout à commencé par des prototypes réalisés dans ma cave et dans ma cuisine ! A l’époque je résidais encore en Charente, région que j’ai ensuite quittée pour retrouver Bordeaux en 2006, afin de me rapprocher d’une ville plus importante, avec son énergie, sa qualité de vie, ses infrastructures... Chambre de commerce et d’industrie, universités, laboratoires. J’ai vraiment démarré Neodio en 2000 et c’est à ce moment que j’ai développé une approche qui se veut «fondamentale». Car il est vrai que dans les tout débuts, j’ai rencontré beaucoup de difficultés pour passer des prototypes de labo qui donnaient toute satisfaction aux modèles de pré-série, et ensuite à la série. J’étais témoin de phénomènes bien mystérieux que je voulais absolument expliquer et contrecarrer…

SSB : Il y aurait donc de l’irrationnel dans l’électronique audio ?

SE : Et oui ! Mais j’ai démarré comme un ingénieur, qui pensait, naïvement sans doute, que les problèmes de la hifi trouvaient des solutions d’ingénieur. Compte tenu de ma formation, faire des amplis était une évidence… J’ai été beaucoup influencé par Gérard Perrot, le créateur de Lavardin, qui signait Héphaïstos dans la revue l’Audiophile, mais que je n’ai malheureusement jamais rencontré.  Je me suis passionné pour une de ses réalisations d’amplificateur, qu’il a décrite sur 11 ans dans la revue, et qu’il avait mise au point avec un niveau d’exigence incroyablement élevé. Cela m’a donné le virus du développement poussé aux limites...

Neodio se fonde donc sur des bases inspirée par Gérard Perrot, notamment la notion de distorsion thermique, mais que nous traitons différement de ce qui se fait chez Lavardin... Les phénomènes thermiques transitoires altèrent le fonctionnement des transistors en permanence. Cette approche était assez nouvelle à l’époque, mais pouvait expliquer certaines choses inexplicables…

SSB : Quelle esthétique sonore cherchez-vous à développer dans vos produits ?

SE : Nous sommes sur une approche de la plus grande neutralité possible, nous travaillons à ne rien ajouter ni à enlever à la musique. Ce n’est pas toujours évident de faire comprendre ça à l’amateur qui recherche le plaisir d'écoute, et donc parfois la coloration. Mais pour moi, bien sûr, neutralité ne veut pas dire ennui ! La référence reste l’écoute de la musique vivante, que je pratique souvent. Notre idée est aussi que le système doit être suffisament transparent pour donner envie d’écouter des genres musicaux que l’on aime pas forcément ! Même des œuvres hermétiques ou peu courantes ressortent de manière étonnante sur de beaux systèmes, il y a comme un voile qui se lève, des couleurs que l’on a pas l’habitude d’entendre. Mais il y a aussi différents styles d’écoute, car on ne focalise pas tous sur les mêmes critères. L’écoute totalement objective n’existe pas. L'important pour un constructeur est de ne pas passer à côté de critères qui pourraient lui paraître secondaires...

Et donc, en pratique, mes amplis fonctionnent en boucle ouverte, sans contre réaction globale, ce qui leur permet d’être très fluides dans le médium-aigu. Mais souvent, les amplis réalisés de cette manière manquent de tenue, d’énergie dans le bas du spectre. J’ai donc imaginé un système de correction d’erreur, comme le font à ma connaissance les marques Pass, Hegel ou Halcro. Il n’y a pas de contre-réaction globale, mais une cellule vient mesurer l’erreur produite par un étage d’amplification et injecte un signal de correction juste avant, pour qu’au final on ait quelque chose de pratiquement transparent. On le fait à deux endroits dans les amplis Neodio, notamment dans l’étage de sortie, où j’ai pu constater que les effets thermiques sur les MOSFET étaient considérables. Lorsque l’on débranche ce système de correction d’erreur, on a toujours l’ouverture du médium aigu, mais pas cette densité, cette énergie, cette tenue des haut-parleurs !

Par rapport à la contre-réaction classique, j'y vois deux intérêts : la stabilité, car les forts taux de contre-réaction nécessitent ce qu’on appelle des compensations en fréquence pour assurer la stabilité. Sinon gare aux oscillations ! Le deuxième intérêt, c’est que la contre-réaction réduit la distorsion sans jamais l’annuler. La correction d’erreur peut sur le papier annuler une distorsion localisée (celle d’un transistor par exemple). Bien sûr dans le monde réel, la théorie et la pratique diffèrent un peu…

Pour les Neodio, on retrouve dans le son l’aération de la boucle ouverte et la tenue des HP grâce à la correction d’erreur. Car avec ce système, on obtient un facteur d’amortissement important de 250 à 50 Hz. Par comparaison, beaucoup d’amplis à tubes de petite puissance ont un facteur d’amortisseur de 2 à 3, ce qui peut donner une grosse impression d’ampleur, mais uniquement parce que le haut parleur de grave n’est pas tenu ! Le facteur d’amortissement, cela s’entend, c’est une réalité objective. Je ne suis pas convaincu par contre qu’il faille le pousser jusqu’à des valeurs de 2000, 3000 ou 10000 comme ce que certains constructeurs affichent avec leurs amplis numériques. Il y a beaucoup d’esbroufe dans ce domaine !

Il en va de même pour la distorsion par harmoniques, où il ne sert à rien de gagner des centièmes de % sur un taux de distorsion. Par contre, l’oreille perçoit des effets d’intermodulation de fréquences, de distorsion de phase, pour lesquels il n'existe pas beaucoup de mesures, mais sur lesquels nous travaillons énormément.

SSB : Et du point de vue technologique, quels sont vos choix ?

SE : Sur nos amplificateurs, les étages de sortie travaillent en classe AB avec un courant de repos moyen. Ils ne chauffent pas beaucoup. Nous utilisons de bons vieux MOSFETs Hitachi, qui existent depuis au moins 25 ans et sont très fiables, mais que je vais bientôt remplacer par des modèles plus puissants. Les modèles plus récents sont capables de passer des courants phénoménaux, mais avec d’autres difficultés de mise en oeuvre. Par exemple, les capacités parasites de cette nouvelle génération de semi-conducteurs peuvent avoir une valeur très élevée, ce qui pose problème.

Et ce ne sont pas les meilleurs composants sur le papier qui sonnent le mieux ! Mais vous ne trouverez pas de composants exotiques dans du Neodio... Que des transistors bipolaires d'origine Philips, Siemens ou Motorola, et les MOSFET Hitachi. D’une manière générale, j’utilise des composant industriels, pérennes, car j’ai l’obsession de la fiabilité. Nous ne pouvons pas nous permettre de gérer de nombreux retours clients. Jusqu’à présent, les seuls retours SAV que nous ayons eu concernent le remplacement de fusibles, et très épisodiquement le remplacement d’une mécanique CD. Pas de vraie panne en tant que telle ! Nos schémas d’ampli sont hyper-robustes, avec un dimensionnement adapté des composants, mais sans surenchère, car ça n’est au final que de la poudre aux yeux.

SSB : Quels sont les modèles d'enceintes avec lesquels vous mettez vos électroniques au point ?


SE : Au bureau, j'utilise des Kelinac 811Mg, mais je valide mes produits sur beaucoup d’enceintes différentes. J’aime beaucoup ce que font les français comme Jean-Marie Reynaud (Bliss, Orphéo), Focal (Electra et Utopia), Mulidine, Pierre-Etienne Leon et bien sûr Leedh, qui offre réellement une nouvelle perspective à la restitution hifi. Je pense qu’en matière d’enceintes, il y a sans doute un «son» français à la fois rigoureux et vivant. Construire une chaîne 100% française est non seulement facile mais est sans doute un bon moyen de ne pas se tromper compte tenu de l’avalanche de marques étrangères sur le marché. Notre salon à Mâcon s’inscrit dans une volonté de promotion du bon «made in France».