mercredi 9 juin 2010

Festival Agora 2010 - 1





Lundi 7 juin, 18 h 00, fontaine Stravinski, entrée de l'Ircam


Le festival Agora a ouvert ses portes cet après-midi.

Rappelons que l'un des thèmes de cette édition d'Agora est le prototype en art.


L'Ircam, véritable laboratoire de la création musicale, a depuis sa création en 1969 suscité de nombreuses oeuvres, procédés, paradigmes et outils, repris et développés par les musiciens et certains artistes plasticiens d'aujourd'hui. 

Faire ressurgir l'utilité récurrente de ce qui fut - ou est - prototypal dans ces travaux, montrer ce que ces recherches et expérimentations ont de fonctionnel, faire en sorte qu'elles soient partagées par un nombre toujours croissant d'auteurs est l'un des objectifs d'Agora 2010, qui vise aussi à ouvrir l'institution Ircam à un public de plus en plus large.

Cette première soirée s’ouvrait par la projection d'une relecture du «Roaratorio» de John Cage dans la salle de projection de l’Ircam, très sobrement remis en ondes et en lumière par le plasticien Sarkis - par ailleurs exposé au Centre Pompidou jusqu'au 21 juin. 

A 20 h 30 suivait la création de «Cantate égale pays», œuvre de commande mixte acoustique-électronique de Gérard Pesson, originale à plus d’un titre. Cette œuvre était en effet interprétée sans chef par les six solistes de l’ensemble vocal britannique EXAUDI et les neuf instrumentistes de l’Instant donné, formation française spécialisée dans la musique de chambre contemporaine.


L’absence de direction résultait d’un choix partagé du compositeur et des musiciens, afin que rien ne s’interpose entre le public et la scène, scène qui profitait d’une belle mise en espace et en lumière due à Daniel Levy. Selon les vœux du compositeur, c’est l’immédiateté ainsi qu'une manière de fragilité du discours musical qui étaient recherchées dans cette exécution. Et la structure rythmique complexe de cette œuvre nécessitait de la part des musiciens une attention spécifique au geste de l’autre, de tous les autres.

Autre particularité, l’ensemble était amplifié pupitre par pupitre, afin d’éviter tout hiatus sonore entre les émissions des instruments acoustiques et des chanteurs, et le recours, jamais envahissant, à l’électronique - ici sous les traits d’une (hyper) basse (presque) continue, là sous le rappel de chants d'oiseaux, de bruissements d'eau et de vent, voire du bruit de passage d'un train. 

A propos de ses cantates, Gérard Pesson écrit en effet : «(l’électronique) doit former avec les instruments et les voix, tous amplifiés, un son homogène et centré qui délimite l’espace du jeu, celui de la parole». Et encore : «Sa présence, souvent indiscernable, est un point de fuite de l’écoute, comme une perturbation que l’on peut intégrer pleinement à l’image sonore, ou bien laisser opérer comme un venin légèrement urticant du timbre». 

On appréciera la poésie de la formule, collant à merveille à l'esprit de ces trois cantates basées sur des poèmes de Mathieu Nuss, Gerard Manley Hopkins et Elena Andreyev, et dont le parti pris naturaliste est évident. Ici donc, pas d’effet spectaculaire de spatialisation, mais une amplification qui la plupart du temps accompagnait et soulignait le positionnement réel de chacun des acteurs presents sur scène.

Sur de vives pulsations porteuses de souffle et de crissements, Pesson bâtit de curieux édifices aériens faits de sons ténus, acides et étherés, dans une construction à l'équilibre finalement lent, précis mais presque précaire. Un travail d'esquisse et de fragilité qui oblige les musiciens à sonder les formes les plus évanescentes de l'aigu ou du pianissimo (avec un triple voire un quadruple p).

Tandis que le découpage spatial et lumineux distillé par Daniel Levy, parfois nimbé de fines volutes de brouillard, soulignait ce que cette construction sonore a tout à la fois de rigoureux et de vaporeux.

Une belle manière, envoûtante et précieuse, de commencer ce festival.