samedi 14 novembre 2009

La fantaisie du voyageur


Premier concert de saison à Nanterre pour tm+


Bien que formés à l’école de la plus radicale avant-garde, Laurent Cuniot et sa formation tm+ savent distiller des programmes de la plus haute poésie, où classiques du répertoire romantique et post-romantique s’entremêlent avec quelques hardiesses plus modernes…

Le programme La fantaisie du voyageur déroulait une toile originale tissée du plus pur fil musical, et placée sous le signe de la transcription, donc de la relecture d’oeuvres. Un parti pris assumé de subjectivité, et qui bouscule quelque peu le dogme absolu selon lequel, en musique classique, il faut s’en tenir à la partition originale, voire, pour quelques oeuvres bien spécifiques, aux rares transcriptions que l’Histoire a bien voulu valider. Mais cela reste l’exception, alors que la plupart des artistes de jazz établissent leur « fond de commerce » sur la réinterprétation quasi inlassable de standards, et que dans le registre pop-rock les versions de concert égrennées par les groupes sont souvent très différentes du titre original… Pourquoi ne pas s’écarter un peu des sentiers battus et tenter le même genre d’aventure en musique classique ? C’est ce que proposait Laurent Cuniot ce vendredi 13 novembre.

Seule pièce originale jouée telle qu’elle a été composée, la Quatrième ballade pour piano Opus 10 de Johannes Brahms ouvrait ce voyage et était interprétée, dans une manière de superbe apesanteur, par le jeune et talentueux pianiste Julien Le Pape.

Lui était directement enchaînée le déchirant Lied der Waldtaube, certainement inspiré à Arnold Schoenberg par Brahms lui-même.

Extraite des Gurrelieder (pour grand orchestre), cette version pour encemble de chambre, réécrite par Schoenberg lui-même, permettait à la mezzo-soprano Sylvia Vadimova de montrer une fois encore sa maîtrise et sa sensibilité, sa capacité à passer du murmure plaintif au cri de désespoir le plus intense avec aisance et justesse.

Adoptant ponctuellement les manières iconoclastes d’un Helmut Lachenman, le compositeur Gérard Pesson a exhumé de sa propre mémoire cette même Quatrième Ballade de Brahms et l’a transcrite pour quatuor à cordes et clarinette en 1998. Une relecture d’une étrange beauté, formalisant un saut dans le temps de plus d’un siècle, émaillée de passages où les instrumentistes n’émettaient que bruissements et courtes bribes indécises, comme s’il s’agissait d’une trame «...peu à peu oxydée, comme un objet tombé à la mer» (dixit G. Pesson lui-même).

Réorchestrés par Bernard Cavanna pour voix, violon, violoncelle et accordéon, les Lieder de Schubert proposés ensuite présentaient ici un caractère «réaliste-début 20e siècle» que n’aurait pas renié un certain Kurt Weil, sans nuire aucunement à leur crédibilité.

Pour terminer ce beau programme, Laurent Cuniot avait opté pour une difficile transcription pour formation de chambre des poignants Kindertoten Lieder de Gustav Malher. L’ensemble tm+ en donnait une version précise, immédiate et aérienne, en évitant de sonner «désincarné» par comparaison avec la version originale pour orchestre, évidemment plus ample et plus grave.


Un programme didactique et parfaitement maîtrisé, que tm+ pourrait sans problème mettre à son répertoire de formation également itinérante…

On retrouvera tm+ le samedi 23 janvier à l’auditorium Rameau de la Maison de la musique de Nanterre, pour un concert gravitant autour des Pierrot Lunaire de Schoenberg et de Max Kowalski.


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